Spécial panorama de jurisprudence

SPÉCIAL PANORAMA DE JURISPRUDENCE

Les nombreuses décisions rendues par les deux plus Hautes Juridictions en matière fiscale au cours de l’année 2023 ont été une source d’inspiration – ou d’inquiétude – pour le législateur qui en a tiré des conséquences dans la loi de finances pour 2024.

Ainsi, afin de contrer les décisions rendues en faveur du contribuable en matière de Pacte Dutreil (Cass. Com, 1er juin 2023, n° 22-15-152 ; CE, 29 sept. 2023, n° 473972), la loi de finances a mis un terme à toute spéculation quant à l’éligibilité de la location meublée au dispositif Dutreil pour les transmissions intervenant à compter du 17 octobre 2023 et expressément exclu cette activité du champ d’application du Pacte Dutreil.

Au contraire, s’appuyant sur plusieurs décisions rendues par le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation, l’article 23 de la loi de finances pour 2024 entérine l’éligibilité de la holding animatrice de groupe au dispositif Dutreil, et, plus largement, celle des sociétés exerçant des activités mixtes (une activité opérationnelle et une activité patrimoniale ou civile) dès lors que l’activité opérationnelle est exercée à titre principal. Tolérance administrative, l’éligibilité de ces sociétés est désormais inscrite dans la loi.

Plus généralement, la richesse de la jurisprudence et de la doctrine rendues en 2023 dans divers domaines ont été une source d’enseignement que nous avons souhaité partager avec vous à travers une sélection de décisions susceptibles d’interagir sur votre stratégie patrimoniale.

ABATTEMENT DU DIRIGEANT FAISANT VALOIR SES DROITS À LA RETRAITE ET RÉFORME DES RETRAITES

Les plus-values de cession de titres de petites et moyennes entreprises (PME) réalisées jusqu’au 31 décembre 2024 par les dirigeants partant à la retraite sont, sous certaines conditions, réduites d’un abattement fixe de 500 000 € (CGI art. 150-0 D ter).

Pour pouvoir bénéficier de cet abattement, le cédant doit notamment faire valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession (CGI art. 150-0 D ter, II-2o-c).

La réforme des retraites opérée par la loi du 14  avril 2023 a relevé progressivement l’âge légal de départ à la retraite et allongé la durée de cotisation requise pour percevoir une retraite à taux plein.

Un dirigeant ayant cédé sa société avant la réforme et bénéficié à cette occasion de l’abattement fixe en s’engageant à faire valoir ses droits à la retraite dans le délai de deux ans peut donc se trouver de fait dans l’impossibilité de respecter son engagement.

Dans une Réponse ministérielle du 28 septembre 2023 (Rép. Gatel : Sén. 28-9-2023 n° 6476), l’administration précise que, sous réserve que les autres conditions prévues à l’article 150-0 D ter du CGI [soient] par ailleurs satisfaites, le bénéfice de l’abattement ne sera pas remis en cause à l’égard des dirigeants ayant déjà cédé les titres de leur entreprise au 14 avril 2023 (date de promulgation de la loi 2023-270) sous réserve qu’ils remplissent les conditions suivantes :

• d’une part, ils auraient atteint, dans le délai de deux ans suivant la cession, l’âge légal de départ en retraite applicable antérieurement à cette réforme ;
• d’autre part, ils partent effectivement en retraite à l’âge légal relevé par cette même réforme.

ABATTEMENT DU DIRIGEANT FAISANT VALOIR SES DROITS À LA RETRAITE ET SOUS-TRAITANCE

Le bénéfice de l’abattement fixe de 500.000 € évoqué ci-avant est réservé aux dirigeants justifiant avoir assuré de manière effective, personnelle et continue la gestion de la société dont ils cèdent les titres lors des 5  années précédant cette cession, et ayant perçu une rémunération normale à ce titre.

Dans un arrêt du 25 octobre 2023, le Conseil d’Etat a considéré que la condition d’exercice personnel des fonctions de direction faisait défaut et que le gérant ne pouvait donc pas bénéficier de l’abattement sur la plus-value réalisée lors de la cession des titres de sa société lorsque la gestion effective de la personne morale est confiée à un tiers.

Dans l’affaire jugée, le gérant d’une SARL dont l’activité courante consistait en l’exploitation d’une résidence de tourisme avait délégué à des sociétés indépendantes, par le biais de diverses conventions, les activités de recherche de clientèle, de gestion des paiements, d’entretien et de maintenance et de recrutement du personnel mais aussi du développement commercial.

Le Conseil d’Etat a estimé qu’une délégation aussi large de ses pouvoirs avait pour corollaire que le dirigeant n’exerçait pas effectivement son activité au sein de la société. A été en particulier jugé sans incidence les relations régulières qu’il entretenait avec ses prestataires extérieurs.

PLUS-VALUE EN REPORT D’IMPOSITION ET RÉDUCTION DE CAPITAL

La plus-value réalisée dans le cadre d’un apport de titres à une société soumise à l’impôt sur les sociétés et contrôlée par l’apporteur est placée de plein droit en report d’imposition (CGI, art. 150-0 B ter).

Il est notamment mis fin à ce report lorsque les titres reçus en rémunération de l’apport sont cédés ou annulés.

La doctrine administrative avait entériné en 2022 le maintien du report d’imposition lorsque la réduction de capital, motivée par des pertes est réalisée par voie de réduction de la valeur nominale des titres, sous réserve de l’absence de remboursement aux associés (BOFIP – BOI-RES-RPPM-000115).

Dans une réponse ministérielle en date di 29/08/2023 (Rép. Woerth : AN 29/08/2023 n° 7128), la doctrine considère en revanche qu’il est mis fin au report d’imposition si la réduction de capital de la société bénéficiaire de l’apport est réalisée par annulation des titres en rémunération, même lorsque l’opération est motivée par des pertes.

L’administration justifie cette différence de traitement par la différence de situation entre un associé dont les titres ont été annulés dans le cadre de la réduction de capital et un associé dont les titres ont vu leur valeur nominale réduite. En effet, ces derniers continuent de représenter tout à la fois une quote-part du capital de la société et un élément du patrimoine privé de l’associé que celui-ci pourra, le cas échéant, céder à titre onéreux.

Même si cette analyse nous parait contestable, cette dichotomie de traitement devra être prise en compte pour bien appréhender les incidences liées à une réduction de capital, même motivée par des pertes.

PLUS-VALUE EN REPORT D’IMPOSITION ET RÉGIME MATRIMONIAL

Conseil d’Etat 27/03/2023 , n°456550

Dans cette affaire déférée devant le Conseil d’Etat, un contribuable avait demandé le report d’imposition de sa plus-value réalisée à l’occasion d’un échange de titres (intervenu avant 2000 sur le fondement de l’article 92 B-II du CGI). Il avait ensuite modifié son régime matrimonial pour adopter celui de la communauté universelle avec attribution intégrale au conjoint survivant, puis était décédé. Quelques années plus tard, sa veuve vendait les titres grevés de la plus-value en report.

Elle déclarait la plus-value de cession dont le report était expiré (la vente étant le fait générateur de l’expiration) puis, se ravisant, en demandait le dégrèvement.

La Cour de Nantes refusait de lui donner satisfaction considérant que la plus-value en report réalisée par son mari lui avait été transmise à son décès et que la vente des titres avait mis un terme au report. Le Conseil d’Etat censure le raisonnement en relevant que sauf disposition légales expresses, les plus-values en report ne se transmettent pas lors de la mutation à titre gratuit (succession ou donation sauf exceptions exemple art 150-0 B ter pour les donations) des titres en faisant l’objet.

Statuant sans renvoi, le Conseil d’Etat considère que conformément aux articles 1525, 1526 et 1527 du Code Civil, l’effet de la clause d’attribution intégrale prévue par le régime matrimonial avait pour conséquence que la veuve n’avait pas récupéré les titres de son mari à titre gratuit (donation ou succession), mais au titre d’un avantage matrimonial.

La plus-value en report n’avait donc pas été purgée par le décès, mais avait été transmise au conjoint survivant, avec les titres auxquels elle était attachée. La cession de ces derniers avait donc bien rendu cette plus-value en report imposable.

Cette décision du Conseil d’Etat donne la confirmation que, sauf le cas très particulier de l’article 150-0B ter du CGI (et pour une durée limitée à 5 ans ou 10 ans), une mutation à titre gratuit purge les plus-values en report attachées aux titres transmis….encore faut-il être légataire ou donataire…

BSA, BSPCE ET PEA

L’article L 221-31 du Code monétaire et financier, qui définit les titres éligibles au PEA, exclut la possibilité d’inscrire des bons de souscription d’actions (BSA) et des bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE).

La doctrine administrative (BOI-RPPM-RCM-40-50-20-20 n° 540) précise par ailleurs que « sont interdits l’inscription dans un PEA non seulement de ces droits et bons, mais également des actions qu’ils permettent d’acquérir ou souscrire. En effet, ces droits ou bons ne peuvent être ni inscrits, ni exercés, ni cédés dans le plan ».

Par une décision qui sera mentionnée aux tables du recueil Lebon (CE – 8/12/2023 – 8ème et 3ème Chambres réunies n°482922), le Conseil d’Etat, saisi d’un recours pour excès de pouvoir, juge que ni [les] dispositions [de l’article L 221-31 du Code monétaire et financier], ni aucune autre disposition législative ou réglementaire, ne font obstacle à ce que les sommes versées sur le PEA soient employées pour l’acquisition, en exercice de tels bons [BSA ou BSPCE], de titres éligibles au plan.

L’inéligibilité des BSA et BSPCE au PEA n’interdit pas de placer sur le PEA les actions issues de l’exercice de BSPCE ou BSA en payant le prix de souscription au moyen du compartiment espèces de son PEA.

Par cette décision, le Conseil d’Etat annule la doctrine administrative précitée.

USUFRUIT ET TITRES DE PARTICIPATION

En Février 2022, la Chambre civile de la Cour de Cassation tranchait la délicate question de savoir si l’usufruitier de parts sociales a la qualité d’associé en répondant par la négative : « l’usufruitier ne peut se voir reconnaitre la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire mais qu’il doit pouvoir provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance ».

Le 27 juin 2023, la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, interrogée sur la qualification fiscale de titres détenus en usufruit, retient une fois encore une position restrictive et juge que « la plus-value dégagée par une société à l’occasion d’une cession d’usufruit temporaire de parts sociales ne pouvait pas bénéficier du régime des plus-values à long terme sur titres de participation (imposition au taux de 0 %, à l’exception d’une quote-part de frais et charges) ».

La cour retient que « si la qualité d’usufruitier permet une participation aux éventuels bénéfices, elle ne confère pas à son titulaire des droits équivalents, notamment vis-à-vis du capital et de l’exercice du droit de vote, à ceux d’un propriétaire détenteur du titre. Dès lors, la vente de ses droits d’usufruit ne peut être regardée comme afférente à des titres de participation ».

Le Conseil d’Etat avait déjà été amené à se prononcer (CE, 20 février 2012, n° 321224) sur le bénéfice du régime mère et filles aux dividendes reçus par l’usufruitier et avait répondu par la négative.